Sierra Leone : l’AED aide l’Église à surmonter les traumatismes d’une « guerre insensée »

Un projet soutenu par l’Aide à l’Église en Détresse (AED) vise à former 150 prêtres pour qu’ils deviennent « des agents de réconciliation, de guérison, de transformation sociale et de cohésion nationale. »

Le père Peter Konteh était au lit, endormi, lorsqu’il a entendu les premières explosions. Se levant d’un bond, il a appelé l’autre prêtre de la maison pour qu’il se lève et coure. « Les rebelles viennent de l’est ! », a-t-il crié. « Nous devons fuir. »

Le père Peter Konteh en 2021, en visite au siège international de l’Aide à l’Église en Détresse (AED).

« Je criais plein de terreur, mais l’autre prêtre s’est tourné vers moi et m’a dit de me calmer, que je n’étais plus en Sierra Leone, mais aux États-Unis. Ce que j’entendais, c’était un feu d’artifice pour les célébrations du 4 juillet. C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que j’étais moi aussi traumatisé », se souvient le père Peter, lors d’une visite au siège international de l’Aide à l’Église en Détresse (AED).

Le père Peter, qui est actuellement, entre autres, président de la confrérie des Prêtres catholiques de Sierra Leone, était à New York à ce moment-là pour plaider auprès de l’ONU en faveur d’une intervention dans la guerre civile de son pays. Contrairement à beaucoup d’autres guerres en Afrique, celle-ci n’était pas liée à la religion, à l’idéologie ou à l’appartenance ethnique, mais était plutôt une « guerre totalement insensée, motivée par la cupidité », car des rebelles armés voulaient s’emparer de ressources naturelles précieuses, notamment des mines de diamants.

Des jeunes dans un orphelinat, mutilé par la guerre.

La guerre (1991-2002) a éclaté à une époque très agitée. Quelques mois après le début du conflit, la population a été invitée à participer à un référendum. Une grande majorité a voté en faveur d’une modification de la constitution et de l’instauration d’une démocratie multipartite. « Le peuple préférait tenir des élections avant la paix, afin qu’après les élections, un nouveau gouvernement puisse négocier avec les rebelles. »

Malheureusement, les choses ne se sont pas déroulées comme prévu. Les rebelles ont commencé à couper les mains des civils pour les empêcher de participer aux élections et, avant que celles-ci ne puissent avoir lieu, l’armée a pris le pouvoir dans un coup d’État. Au cours des onze années de conflit, des dizaines de milliers de personnes ont été tuées et d’innombrables autres ont été violées, mutilées ou forcées, même lorsqu’elles étaient enfants, à infliger ces atrocités à leurs compatriotes.

« Il y avait un mendiant qui avait l’habitude de s’asseoir devant la porte de la cathédrale pour demander de l’argent. Il n’avait pas de mains, car il avait été mutilé pendant la guerre. Un jour, un homme bien habillé a essayé de lui donner de l’argent, mais il a refusé, provoquant des remous. Je suis sorti pour voir ce qui se passait et il m’a dit que l’homme était celui qui lui avait coupé les mains », se souvient le père Peter.

Une femme participant à une messe à Freetown.

Le prêtre a emmené les deux hommes dans son bureau et ils ont écouté le pauvre homme exprimer sa colère. « Avant, je n’étais pas un mendiant; je travaillais de mes mains. Mais maintenant, je ne peux même pas aller aux toilettes tout seul. Est-ce que vous comprenez l’humiliation que vous m’avez causée ? », a-t-il demandé à son ancien agresseur, qui à ce moment-là était également en larmes.

« Après huit séances avec moi, le mendiant a finalement dit qu’il avait pardonné à l’homme qui lui avait coupé les mains, mais pour l’ancien rebelle, cela n’était pas suffisant. Il voulait savoir ce qu’il pouvait faire pour réparer ses crimes. Il a dit : « Je me souviens très bien qu’il me suppliait de ne pas lui couper les mains, mais on nous avait tous drogués et je l’ai fait. »

« Comme vous pouvez le voir, même les agresseurs sont traumatisés. À l’époque, ils ont peut-être agi sans pitié, mais agir ainsi vous affecte et vous avez alors vous-même besoin de guérison », a expliqué le père Peter à l’AED.

Pendant la guerre et les crises ultérieures, comme l’épidémie d’Ebola de 2014, l’Église est devenue, « la voix des sans-voix » et un défenseur intrépide des victimes appartenant à tous les groupes sociaux ou religieux, a expliqué le prêtre. « L’Église est devenue un point central pour les services sociaux, et même les musulmans se tournaient vers l’Église pour obtenir de l’aide à cette époque. Nous avons eu beaucoup de conversions parce que les gens faisaient confiance à l’Église. Non seulement nous leur avons donné du pain à manger, mais nous avons aussi défendu leurs intérêts. »

L’un des bidonvilles qu’on retrouvent à Freetown, la capitale de la Sierra Leone.

Les relations entre les religions étaient déjà exemplaires en Sierra Leone, où 40 % des prêtres sont d’anciens musulmans convertis, dont beaucoup ont fréquenté des écoles chrétiennes. « Nous avons une Commission Justice et Paix, et nous sommes souvent appelés à arbitrer les différends entre musulmans dans leurs mosquées. Certains de nos voisins africains trouvent cela étrange, parce qu’ils pensent que les chrétiens ne devraient pas entrer dans une mosquée, mais c’est normal en Sierra Leone », a insisté le père Peter.

Aujourd’hui, l’Église a décidé de s’attaquer à la question des traumatismes. Avec l’aide de l’AED, 150 prêtres participent à un programme de formation pour devenir des « agents de réconciliation, de guérison, de transformation sociale et de cohésion nationale. »

La confrérie des Prêtres catholiques travaille avec des experts de l’Université de Boston, aux États-Unis, pour développer des manuels de formation qui seront ensuite utilisés lors de sessions avec des prêtres, des religieux et des laïcs. De cette façon, explique le père Peter, l’Église espère continuer à être une lueur d’espoir dans une nation qui tente encore de panser ses profondes blessures.