Il partage aussi sur la façon dont un de leurs frères a payé le prix ultime pour leur liberté
Le 8 janvier 2020, Pius Tabat et Stephen Amos ont été kidnappés avec deux autres séminaristes. Pendant plusieurs jours, ils ont été maintenus en captivité et torturés, alors que leurs ravisseurs tentaient d’extorquer des rançons de leurs familles. Michael Nnadi, un membre du groupe, a été assassiné pour avoir prêché l’Évangile à l’un de ses ravisseurs.
Lors d’une conférence en ligne organisée par Aide à l’Église en Détresse (AED) le 8 mars dernier, Pius et Stephen ont évoqué ces jours difficiles dans leurs propres mots.
(Photo de présentation : funérailles du jeune séminariste Michael Nnadi, 18 ans, janvier 2020.)
***
Nous nous étions retirés pour la nuit, lorsque nous avons été réveillés par des coups de feu. Nous ne savions pas ce qui se passait. Quand nous sommes arrivés à la porte, une arme à feu a été pointée sur nos têtes. L’homme armé nous a pris nos téléphones portables, nos gadgets électroniques et nos objets de valeur et nous a ordonné de sortir. Les ravisseurs nous ont fait franchir la clôture et éloignés du site pour que les forces de sécurité ne nous voient pas. Cette nuit là, nous sommes allés dans la brousse.
Nous avons marché pendant trois ou quatre heures, sans savoir où nous allions. À un moment donné, ils nous ont fait monter sur leurs motos et nous avons roulé pendant encore une heure, et nous sommes arrivés à destination au petit matin.
Ils nous ont obligés à nous coucher dans une tente, à même le sol, avec sept ou huit autres personnes. En tout, nous étions douze personnes à nous entasser dans une seule tente, en janvier, dans le froid.
Plus tard, ils nous ont fait venir et nous ont demandé de contacter nos parents pour les informer que nous avions été kidnappés. Pendant que nous téléphonions, ils nous ont battus. Nous pleurions, tant la tension était grande, alors que nos parents nous entendaient au téléphone. Cette routine s’est répétée pendant environ deux semaines. À chaque fois que nous téléphonions, ils nous battaient.
Pendant la majeure partie de la journée, nous restions assis sous un arbre, les yeux bandés. Nous ne pouvions pas nous allonger, nous avions mal au dos, mais nous ne pouvions rien faire. Ils ont continué à nous battre, sur la tête, sur le dos ou sur toute autre partie du corps, tous les jours, sans aucune pitié. Nous étions simplement assis et l’instant d’après, nous sentions un coup de bâton sur notre nuque.
Les ravisseurs étaient des bergers peuls; ils parlaient la langue peule. Nous ne pouvions pas dire quels pouvaient être leurs motifs, mais la plupart des personnes que nous avons rencontrées en captivité étaient des chrétiens. Il n’est donc pas déplacé de dire qu’il s’agit principalement d’une attaque contre notre foi chrétienne. Dans notre région, les lieux de culte musulmans ou les dirigeants musulmans ne sont jamais attaqués. Il semble donc que nous ayons été pris pour cible en raison de notre foi catholique.
Sur les bords des fleuves de Babylone
Le soir, lorsque nous retournions à la tente, ils nous disaient de meugler comme des vaches ou de bêler comme des chèvres pour les amuser. Une autre fois, ils nous demandaient de chanter des cantiques que nous chantions normalement à l’église, ou de danser pour eux. Alors que nous chantions et que nous dansions les yeux bandés, ils ont continué à nous battre. Nous avons pensé au Psaume 137 :3 :
Car là, ceux qui nous tenaient captifs nous demandaient des hymnes et des cantiques,
nos oppresseurs, des chants joyeux :
« Chantez-nous un cantique de Sion ! »
On nous a donné à manger du riz et de l’huile , que nous avons mangés dans un récipient très sale. C’était le même récipient que celui qu’ils utilisaient pour aller chercher du carburant pour leurs motos, et le même que celui dans lequel nous buvions l’eau du ruisseau. Nous pouvions voir et sentir l’huile à moteur, mais nous n’avions pas le choix. Parfois, nous mangions une fois par jour, très rarement deux fois. Nous n’avons pas changé une seule fois nos vêtements.
L’un de nos frères est tombé très malade et a failli mourir. Ils l’ont emporté et l’ont abandonné sur le bord du chemin, en disant à quelqu’un d’aller le récupérer. Heureusement, il a survécu.
La nuit la plus longue
Alors que nous n’étions plus que trois, nous nous sommes organisés de sorte que chaque jour, l’un d’entre nous guide les deux autres dans la prière d’une neuvaine et prononce quelques mots d’encouragement. Michael a été assassiné le jour au cours duquel il aurait guidé notre prière pour la seconde fois.
Durant ces jours-là, l’un des ravisseurs a commencé à poser des questions, et Michael a essayé de lui expliquer notre foi chrétienne. Ils en sont arrivés au point où le ravisseur demande qu’on lui enseigne le Notre-Père, et Michael le lui a enseigné.
Peut-être que les autres hommes ont appris d’une manière ou d’une autre ce qui s’était passé, ou que c’est le jeune homme lui-même qui le leur a dit. Nous étions assis là, les yeux bandés, et ils sont venus chercher Michael Nnadi. Nous pensions qu’ils allaient le libérer, que c’était une bonne nouvelle, mais nous étions loin de nous douter que Michael allait être tué ce jour-là.
Plus tard, dans la nuit, le chef de la bande de ravisseurs nous a dit qu’ils avaient tué notre frère, et que s’ils n’avaient pas reçu la rançon le lendemain matin, ils nous tueraient également. C’était l’une des plus longues nuits de nos vies. Le matin, ils nous ont appelés et nous ont remis nos téléphones portables, afin que nous puissions appeler nos parents et leur faire nos adieux avant d’être tués. C’est ce que nous avons fait, puis nous sommes retournés dans notre tente en remettant nos vies entre les mains de Dieu. Mais ce jour-là, nous n’avons pas été tués.
Le prix de la liberté
Trois jours plus tard, ils nous ont annoncé que nous allions être libérés. C’était trop beau pour être vrai. Après tant de jours de captivité, de douleur, de déshumanisation, de coups, nous allions retrouver la liberté.
Ils nous ont emmenés en moto jusqu’à un village abandonné. Ils nous y ont déposés et nous ont dit de marcher jusqu’à ce que nous rencontrions un homme qui nous ramènerait au séminaire. Lorsqu’ils sont partis, nous avons senti à nouveau la fraîcheur de l’air; nous étions libres. Nous avons trouvé l’homme et il nous a ramenés au séminaire en moto.
À ce moment-là, nous espérions toujours que Michael soit encore en vie et en sécurité. En revanche, au séminaire, on espérait qu’il soit avec nous. Nos supérieurs ont contacté les ravisseurs et ont appris où se trouvaient la dépouille de Michael. C’est alors que nous avons réalisé qu’il avait été martyrisé de sang-froid, son seul crime ayant été d’être chrétien et séminariste catholique. Nous ne pensons pas que notre libération quatre jours après son assassinat ait été une coïncidence. C’est comme si son sang nous avait libérés, comme s’il avait payé le prix pour notre liberté.
Nous avons immédiatement été emmenés à l’hôpital catholique pour y être soignés, et nous y sommes restés environ une semaine. Nous y avons rencontré notre frère qui avait été libéré plus tôt et qui se remettait bien de sa captivité. Dès notre rétablissement, nous sommes retournés dans nos diocèses respectifs. On nous a annoncé que nous devions nous préparer à poursuivre notre formation, ici au séminaire où nous nous trouvons actuellement.
Nos familles étaient heureuses de nous revoir et ont rendu grâce à Dieu pour notre libération. En apprenant notre décision de poursuivre notre formation, il n’y a pas eu de reproches. Ils n’ont pas tenté de nous faire changer d’avis. En fait, tout ce qui était arrivé nous y a même encouragés. Si Dieu nous a sauvés de cette situation, c’est qu’Il a encore beaucoup de projets pour nous, et que des choses nous attendent sur cette voie dans laquelle nous nous sommes engagés. Nous nous sentons donc encouragés à persister dans notre vocation.
***
La Conférence des évêques catholiques examine la possibilité de désigner Michael Nnadi comme « martyr du Nigeria » dans un avenir proche. Entre-temps, Mgr Kukah du diocèse de Sokoto et les fidèles auprès desquels il exerce son ministère, aimeraient lancer une initiative pour renforcer et approfondir la foi des chrétiens endeuillés, en créant un lieu où les fidèles souffrants pourraient apporter leur douleur et leurs prières et trouver la guérison dans l’amour miséricordieux de Dieu. « En vérité, c’est vraiment l’accomplissement du dicton disant que le sang des martyrs est semence de chrétiens. »
Avec l’aide des bienfaiteurs de l’Aide à l’Église en Détresse, les fidèles pourront se rassembler dans ce centre d’adoration eucharistique à Malumfashi, dans l’État de Katsina, dans le diocèse de Sokoto. Ce centre a été érigé pour rendre hommage à ceux qui sont morts au nom de leur foi chrétienne et aux mains des extrémistes.