« Le peuple de Syrie vit dans des conditions indignes et sans confiance »

Malgré la situation extrêmement difficile que traverse la Syrie et les craintes concernant l’avenir, Mgr Jacques Mourad estime que la levée des sanctions suscitera un nouvel espoir.(Bannière : en décembre dernier, scène de rue à Alep à la fin du régime El-Assad.)

La situation en Syrie reste marquée par une grande pauvreté et une grande incertitude, déclare l’archevêque syro-catholique de Homs, et de nombreuses familles essaient toujours de quitter le pays.

Selon Mgr Jacques Mourad (photo), le remplacement récent du régime de Bachar El-Assad par un régime aux racines musulmanes fondamentalistes a semé la méfiance entre les différents groupes ethniques et religieux du pays.

« Le peuple de Syrie vit dans des conditions indignes et sans confiance, que ce soit les uns envers les autres ou à l’égard du gouvernement et de la communauté internationale. Cela pèse lourdement sur ses épaules », a expliqué Mgr Mourad lors d’une conférence de presse en ligne organisée par l’œuvre pontificale Aide à l’Église en Détresse (AED).

S’exprimant depuis la Syrie, le prélat a expliqué que, bien que le gouvernement ait posé de nombreux gestes de conciliation envers la communauté chrétienne et les autres minorités religieuses, la présence dans les rues de miliciens salafistes barbus et lourdement armés inquiète beaucoup de gens.

« Pour le peuple syrien, ceci est étrange, c’est étranger à ses habitudes et à ses traditions, il n’a jamais été confronté à une forme aussi rigide de l’Islam, cela lui est étranger, et cela crée un certain malaise social. »

Selon Mgr Mourad, même de nombreux sunnites — courant religieux majoritaire en Syrie — se méfient des militants qui parcourent les rues. « Dans toute l’histoire de la Syrie, il n’y a jamais eu une seule religion, il y a toujours eu de la diversité. C’est un lieu de rencontres, où toutes les civilisations et toutes les religions se côtoient. Nos voisins sunnites nous disent qu’ils ne sont pas satisfaits de ce nouveau régime et ils le disent aussi aux autres, mais la peur règne parmi eux, car, pour les salafistes, les sunnites qui ne sont pas sur la même ligne qu’eux sont considérés comme des blasphémateurs et le blasphème est puni de mort. »

Malgré le climat tendu, l’archevêque assure qu’on ne peut pas dire que les chrétiens sont actuellement persécutés en Syrie. Le problème vient plutôt du fait que l’application des règles fondamentalistes diffère en fonction des régions, ce qui conduit à un sentiment d’insécurité.

« Le pays est dans une situation de chaos parce qu’il n’y pas de normes communes applicables partout. Aussi, par exemple, en été, nous emmenons généralement nos jeunes dans des camps près de la côte, mais cette année, nous n’allons pas nous organiser ainsi parce que nous sommes inquiets de la réaction des nouvelles autorités dans ces régions, car pour elles la mixité n’est pas considérée comme normale, alors qu’elle l’est pour nous. En revanche, en mai dernier, nous avons pu célébrer sans aucun problème nos processions traditionnelles en l’honneur de la Vierge Marie. »

Les rues de Homs en décembre 2023.

Exode et espoir

Face à cette réalité, de nombreux chrétiens continuent de tenter de quitter le pays. Alors qu’auparavant, c’était majoritairement de jeunes hommes qui essayaient de fuir à l’étranger pour échapper au service militaire, ce sont maintenant des familles qui ne veulent pas que leurs jeunes enfants grandissent dans un pays dont les rues sont quadrillées par des miliciens salafistes, explique Mgr Mourad. Il souligne toutefois qu’une lueur d’espoir se profile, car il est question de lever les sanctions qui paralysent l’économie syrienne depuis plus d’une décennie.

« Les sanctions ont eu un effet terrible sur la population syrienne. Après le changement de régime, de nombreuses personnes ont perdu leur travail et n’ont maintenant aucun moyen de subsistance. Chaque jour, des personnes viennent me demander de l’argent pour acheter du pain. Voilà où nous en sommes arrivés. La majorité des gens n’ont pas assez pour payer leur chauffage. C’est devenu trop cher. »

« Si la décision de lever les sanctions est prise, il y aura alors du travail, la possibilité de changer et d’améliorer les conditions de vie, des opportunités, et nous espérons que les gens recommenceront à toucher leur salaire », déclare l’archevêque qui estime qu’avec de meilleures opportunités économiques, l’appétit de violence et de vengeance diminuera, conduisant à un avenir meilleur pour tous.

En attendant, l’Église, explique-t-il, reste l’une des rares sources d’espoir pour de nombreux chrétiens et autres Syriens qui bénéficient de son aide. « Au nom de tous les Syriens, et en particulier des chrétiens, je tiens à exprimer à l’Aide à l’Église en Détresse et à ses bienfaiteurs, notre immense gratitude pour leur soutien qui nous permet d’aider les Syriens à survivre en ces temps de famine, de soif et de privations. »

Maintenant, dit-il, le moment est venu de se tourner vers l’avenir, et cette vision inclut une Église qui œuvre à l’amélioration du pays. « Nous nous sentons responsables de la construction d’un avenir pour notre pays. Nous voulons y participer et y contribuer. »

Concernant les besoins spécifiques des chrétiens, il cite la construction de maisons, d’hôpitaux et d’écoles. « Je pense que l’Église doit y prendre part, et la meilleure façon est d’organiser et de soutenir de grands projets qui seront en mesure de donner aux chrétiens des emplois, du travail et du courage. Aider les jeunes chrétiens qui veulent se marier, soutenir et encourager les familles, soutenir les hôpitaux et les écoles pour les communautés chrétiennes, et encourager ceux qui sont partis à rentrer, car s’ils voient qu’il y a des opportunités pour travailler, cela pourra les inciter à revenir. »

L’optimisme de l’archevêque face à ces défis de taille est, comme il le raconte, enraciné dans son histoire personnelle. En 2015, alors qu’il était encore moine, il a été kidnappé et retenu captif par le groupe État islamique pendant plusieurs mois, avant de retrouver la liberté. Fort de cette expérience, il confie ne pas craindre ce que l’avenir réserve à la Syrie. « Pour quelqu’un comme moi, qui a expérimenté la liberté intérieure grâce à ma captivité, rien ne peut plus m’emprisonner. Rien ne me place dans un état de vulnérabilité. Je contemple ma vie et je vois qu’elle est entre les mains de Dieu, et je suis sûr qu’Il me guide. Celui qui a accompli ce miracle et qui m’a rendu ma liberté reste à mes côtés. Je vois cela pour moi-même et pour tous, y compris pour la présence des chrétiens et de l’Église en Syrie. »