Irak, 6 août 2014 : une histoire – cent mille visages différents (2)

Récit écrit par Maria Lozano, responsable du service presse de l’AED Internationale. Dans cette seconde partie, on peut lire les témoignages de personnes qu’une délégation de l’Aide à l’Église en Détresse a pu rencontrer, peu après l’invasion de la plaine de Ninive par l’État islamique. Certains chrétiens y rappellent que cette terre d’Irak est aussi la leur. (Pour lire la première partie, cliquez ici : https://acn-canada.org/fr/irak-6-aout-2014-une-histoire-cent-mille-visages-differents-1/).

2e partie

Une terre pleine de sang

« Je ne peux pas continuer à vivre ici », gémit le père de David, un des enfants tués par une bombe de l’État islamique à Karakosh, « ce pays est rempli de sang ». La mère, jeune, en vêtements de deuil, pleure en cachant son visage entre ses mains. Ils n’ont ni papiers, ni passeport. Ils ne savent pas comment faire pour demander un visa, mais ils ne cessent de répéter qu’ils veulent partir, peu importe la destination, loin de ce pays de douleur. Ici, il n’y a pas de personnel spécialisé pour les aider dans leur traumatisme et leur tragédie. Ils sont avec tous les autres réfugiés dans une école d’Ankawa.

Son frère Adeeb (photo ci-bas) travaillait au barrage de Mossoul. Dans un anglais haché mais clair, il demande : « Pourquoi, dans les pays européens, reconnait-on des droits aux musulmans qui viennent de l’étranger, alors qu’ici, ils nous traitent comme des chiens ? Pourtant nous sommes ici chez nous, c’est ici notre pays, nous ne venons pas de l’étranger ! »

Adeeb parle des racines bibliques de Ninive, de la terre du Tigre et de l’Euphrate, de la présence des chrétiens à Mossoul depuis le 5e siècle, du monastère de Saint-Matthieu, de l’araméen qui est la langue maternelle du Christ, des catholiques syriaques et chaldéens, des communautés chrétiennes orthodoxes, et de tout un passé religieux et culturel multiséculaire, mortellement frappé.

L’Église, consolatrice des affligés

Ce passé est encore présent, réel et actif : les prêtres, religieuses, évêques tentent d’aider comme ils le peuvent, ils se démènent, lancent des appels, organisent, demandent, écoutent, consolent, prient. Que seraient devenus les réfugiés si l’Église n’était pas là ? Qui s’occuperait d’eux ? À Erbil ainsi qu’autour de Duhok, où quelque 60 000 réfugiés chrétiens se sont également dispersés dans les villes et les villages situés au nord de la ville, parfois jusqu’à la frontière avec la Turquie, le travail de l’Église est extraordinaire. 

Le sanctuaire syrico-catholique Mrtshmony est également devenu un lieu d’accueil pour les réfugiés.

Le Père Samir est prêtre chaldéen et curé dans l’un de ces villages au nord de Duhok. Il raconte le choc du premier jour, l’arrivée de nuit et jusqu’au matin de cet exode innombrable de gens qui étaient dans la rue, dormant dans des voitures, sur les trottoirs ; 77 familles syro-orthodoxes, soit 321 personnes, dont 35 enfants, sont maintenant logées rien que dans le centre paroissial pour la catéchèse. Le Père Samir ne rentre pas chez lui avant une ou deux heures du matin. Les journées de travail se succèdent sans une minute de pause. À dix heures du soir, un appel sur son téléphone portable dans lequel on lui raconte que deux familles yézidies sont sur la route, sans rien. Le père Samir part les chercher, rapporte des matelas et les installent dans la maison de sa sœur. 

Dans un village au nord de Duhok, des jumeaux qui venaient de naître. Leur père a demandé au père Yoshia quelle identité légale ils pouvaient recevoir.

Mgr Emil Nona, archevêque chaldéen de Mossoul, est l’un des cinq évêques également expulsés et déplacés qui ont perdu leurs maisons. Accompagné d’un prêtre, il porte des paquets de nourriture, rend visite aux communautés, fait la liste des besoins : matelas, tentes, médicaments, un réfrigérateur. Il réconforte et redonne courage. Ces jours-ci, l’Église souffrante et l’Église héroïque qui vit l’Evangile sont visibles. Une Église qui a besoin de soutien, de prière et de la solidarité de ses frères chrétiens du monde entier.

À Erbil, Duhok, Zakho et dans tout l’Irak, on voit de nombreux visages remplis de douleur et de larmes. Il reste peu d’espoir : « Il ne reste que l’espérance chrétienne quand l’espoir purement humain a disparu ». Et un cri unanime se fait entendre : « Aidez-nous, nous ne pouvons pas continuer comme ça. Les chrétiens d’Irak sont des naufragés qui tendent la main pour que quelqu’un les sauve de la mort. » Ils attendent que la communauté internationale réagisse et que l’Église ne soit pas la seule à venir les secourir. Il s’agit de quelque chose de plus que la simple charité chrétienne, il s’agit de sauver le présent, le passé et l’avenir d’une culture et d’une religion ancestrale. C’est pour cela qu’ils demandent une aide immédiate, pour quitter ces camps improvisés, ces tentes qui sont de véritables fournaises, mais aussi pour obtenir un soutien durable : la protection et la sécurité, le droit de vivre leur foi, qui pour les chrétiens d’Irak est aussi une identité et une culture qu’ils veulent vivre sur leur terre, celle de leurs parents et de leurs grands-parents.

Août 2014 : des enfants dormant dans l’un des centres pour réfugiés et déplacées. Alors, l’avenir leur était bien incertain…

L’Aide à l’Église en Détresse, grâce à ses bienfaitrices et ses bienfaiteurs, a soutenu ces communautés dès le début. Pour en savoir plus, consultez ce document préparé par le bureau international de l’Aide à l’Église en Détresse (AED).