En Haïti, « on survit à peine », dit Mgr Quesnel de Fort-Liberté.

La violence des gangs, la migration forcée et la pauvreté continuent de frapper Haïti. Mgr Quesnel Alphonse, évêque de Fort-Liberté, parle avec l’Aide à l’Église en Détresse (AED) du pillage des gangs, du recrutement par des musulmans qui offrent de l’argent et du traumatisme profond d’une population « qui se sent très perdue ».

Sur cette photo datant de 2017, la cathédrale de Port-au-Prince en ruines, détruite par le tremblement de terre de janvier 2010. Elle n’a jamais été reconstruite.

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AED – Haïti traverse une situation très complexe, marquée par l’augmentation de la violence des gangs et l’effondrement des services de base. Diriez-vous que cette crise s’aggrave ?

Mgr Quesnel Alphonse – Définitivement, oui. Si je devais choisir un mot pour décrire cette situation, je dirais « étouffement ». C’est comme si on était en train de nous noyer. On survit à peine. Les choses deviennent de plus en plus difficiles, et nous ne savons pas ce qui va se passer. La vérité est que nous avons l’impression que les gens se sentent très perdus. Ils ne sont pas seulement pauvres, ils vivent maintenant dans la misère. Cela affecte l’ensemble du pays. Le désespoir est à son comble et, dans ce cas, tout peut arriver. C’est dommage, surtout à l’approche du Jubilé de 2025, un moment que nous attendions tous avec espoir.

Que deviennent les Haïtiens qui fuient vers la capitale, Port-au-Prince, à la recherche d’une vie meilleure ?

Les habitants des campagnes, incapables de subvenir à leurs besoins dans le monde rural, partent pour la capitale, Port-au-Prince, qui ne dispose pas des infrastructures nécessaires pour accueillir autant de monde. Sur les 12 millions d’habitants d’Haïti, environ 3 millions vivent à Port-au-Prince et dans ses environs. Cela aggrave encore la misère. En plus de cela, un phénomène s’est développé au cours des trois dernières années : l’émergence de gangs. En un week-end de décembre seulement, 184 personnes ont été brutalement tuées dans des actes de violence. C’est terrible. Il est très facile pour les groupes armés de s’organiser dans cette ville surpeuplée.

Quels problèmes ces gangs causent-ils ?

Les paysans préfèrent apporter leurs produits à la capitale parce qu’ils y gagnent plus d’argent, mais les membres des gangs rendent le transport difficile. Mais ce n’est pas le pire. Un fait se répète continuellement : il y a des familles qui, en une seule nuit, perdent tout parce que les gangs viennent dans leur quartier, s’emparent de tout ce qu’elles possèdent, occupent leur maison et les forcent à partir.

Les familles sont également touchées par la migration, n’est-ce pas ?

Oui, de nombreuses familles sont séparées à cause de cela : le père peut se trouver en République dominicaine, la mère aux Bahamas et les enfants aux États-Unis. De nombreux Haïtiens risquent leur vie en mer à la recherche de meilleures conditions de vie. Cependant, dans ces pays, ils ne sont pas toujours bien accueillis et sont confrontés à des problèmes de ségrégation. Cela affecte les familles, qui sont séparées. La famille, pilier fondamental, est menacée, ce qui génère une instabilité sociale. La famille est essentielle, et cette situation touche divers domaines, y compris les vocations des jeunes. Il y a des cas connus de musulmans qui recrutent des jeunes en les payant près de 100 dollars pour qu’ils se joignent à eux. Bien que l’Islam soit une religion minoritaire en Haïti, sa présence s’est accrue. C’est triste de voir comment ces jeunes adhèrent par nécessité et non par conviction. Beaucoup finissent également par rejoindre des gangs pour la même raison.

Qu’est-ce que les gangs offrent aux jeunes ? Comment les recrutent-ils ?

Avec de l’argent aussi, surtout dans les quartiers très pauvres. Hier, j’ai entendu le témoignage d’un jeune homme qui s’était joint à un gang. Il a dit qu’il était orphelin, qu’il n’avait personne, et que, n’ayant personne, sa vie n’avait pas de sens. Les groupes donnent un sentiment d’appartenance. C’est là le danger. Il ne s’agit pas seulement d’un problème économique, mais d’un problème existentiel.

Le phénomène des gangs est une question de survie. Dans les situations de détresse extrême, les gens sont prêts à tout, même à tuer. Et à cela s’ajoute le phénomène de la drogue. Sous l’emprise de la drogue, et pour s’en procurer, beaucoup de jeunes sont prêts à tout. Ils perdent leur humanité et sont capables de tout. Les jeunes des quartiers les plus défavorisés sont complètement perdus.

Y a-t-il des signes d’espoir dans certaines parties du pays ? Quelle est la situation, par exemple, dans votre diocèse ?

Il y a eu quelques améliorations. Certaines personnes déplacées ont déjà commencé à revenir, mais le processus est extrêmement traumatisant. Ce qu’ils découvrent à leur retour crée un choc émotionnel et psychologique si fort qu’il peut détruire n’importe qui. Il faudra du temps, beaucoup de temps, pour pouvoir vivre à nouveau, pour pouvoir réhabiter une maison qui a été pillée et occupée. Cela montre à quel point la situation est grave ; je le répète, c’est une crise existentielle. Il s’agit de la personne dans son ensemble, de l’homme haïtien, de la femme haïtienne, dont l’identité est remise en question, et c’est quelque chose qui nécessite une attention urgente. De plus, nous avons d’autres problèmes tels que des routes bloquées, ce qui rend difficiles les déplacements et les liens avec la capitale.

Nous savons que le Jubilé 2025 sera un moment important pour Haïti. Dans ce contexte, comment l’Église, avec l’aide de bienfaiteurs internationaux, pourra-t-elle être une source de guérison et de reconstruction dans un pays marqué par tant de souffrances ?

Comme le dit le pape François, il y a des endroits qui nous invitent à nous engager à offrir des signes d’espérances. Dans la Bulle du Jubilé, le pape aborde le thème des migrants, une réalité qui nous touche profondément. Nous devrions tous réfléchir à cette situation, pas seulement dans le diocèse de Fort-Liberté. C’est un projet que nous devons prendre au sérieux l’année prochaine. Et le Saint-Père a également parlé de l’annulation de la dette des pays pauvres. Ce Jubilé pourrait redonner de l’espoir à Haïti.

Je voudrais profiter de l’occasion pour exprimer ma profonde reconnaissance aux bienfaiteurs de l’Aide à l’Église en Détresse, dont la générosité et le soutien continu au cours des dernières années ont été cruciaux en cette période très difficile pour notre pays.

En 2024, l’Aide à l’Église en Détresse a soutenu l’Église en Haïti avec près de 70 projets. L’œuvre pontificale de charité a notamment apporté son aide à des stations de radio diocésaines, à des projets de pose de panneaux solaires ainsi qu’à la formation et au soutien de prêtres, de religieuses et de catéchistes.