Pendant les fêtes de Noël, des terroristes ont semé la mort et la destruction parmi les communautés chrétiennes de Bokkos, Barkin Ladi et Mangu (Bokkos était l’épicentre), dans l’État du Plateau, au centre du Nigeria. Près de 170 personnes ont été tuées, et le bilan risque encore de s’alourdir.
La présidente du conseil exécutif de l’AED, Regina Lynch, déplore un nouvel épisode de violence à l’encontre des chrétiens au Nigeria. « Cette année a commencé par le meurtre brutal du père Isaac Achi, le 15 janvier, et se termine maintenant par l’assassinat insensé de plus de 160 chrétiens. D’innombrables autres ont perdu la vie dans des actes de violence tout au long de l’année. Nous demandons au gouvernement de s’attaquer enfin à ce problème et d’assurer la sécurité de ses citoyens, et nous exhortons nos amis et bienfaiteurs à continuer de prier pour le Nigeria, tout comme nous nous engageons à continuer de l’aider de toutes les manières possibles », a-t-elle déclaré. « Nos frères et sœurs chrétiens tués au Nigeria et dans d’autres pays du monde sont les “saints innocents” du XXIe siècle. Le sang versé par les disciples de Jésus sera, nous en sommes sûrs, la semence de nouveaux chrétiens ».
Le père Andrew Dewan est directeur des communications du diocèse de Pankshin, où les attaques ont eu lieu. Il s’est entretenu avec l’Aide à l’Église en Détresse de ce qui s’est passé lors d’une série d’attaques coordonnées sur 26 villages, qui ont commencé le 23 décembre, ne se terminant que le 26 décembre.
Père Andrew Dewan – Les premiers rapports font état d’environ 170 personnes tuées dans ces derniers épisodes de violence. Confirmez-vous ces chiffres ?
AED – Oui, je les confirme. Les statistiques sur les morts font état de 164 ou 167, mais ce chiffre va certainement augmenter, car il y a encore beaucoup de personnes dans les hôpitaux, avec des blessures plus ou moins graves.
Les victimes sont-elles toutes chrétiennes ou les attaques ont-elles été menées sans égard à la religion ?
Les attaques non provoquées étaient bien coordonnées et délibérées, ciblant spécifiquement des communautés chrétiennes. Je vis dans cette même communauté et je peux confirmer que dans les zones où ces attaques ont eu lieu, les victimes sont à 100 % chrétiennes, à l’exception de quelques-unes. Mais même dans ce cas, les non-chrétiens étaient isolés.
Vous parlez d’attaques bien coordonnées. Comment les terroristes ont-ils opéré ?
Ces violences ont commencé dans une communauté rurale du nom de Mushu, la nuit. Environ 18 personnes ont été tuées et plusieurs autres ont été blessées.
Au moment où les gens essayaient de comprendre ce qui s’était passé à Mushu, Tudun Mazat a été attaqué. Les assaillants ont pris d’assaut la communauté dans la soirée, à l’heure où la plupart des gens étaient en train de dîner et/ou ceux qui avaient fini rendaient visite à des amis. Avant que les gens aient pu donner l’alerte, les bandits étaient déjà sur eux. Les gens ont été sommairement abattus, les maisons et le maïs récolté ont été incendiés, de même que les églises et les cliniques. Ce matin-là, je m’étais rendu dans cette même communauté pour la messe de Noël de la communauté catholique. Depuis Tudun Mazat, les terroristes peuls sont descendus sur Maiyanga, tuant treize personnes. Une vingtaine d’autres communautés ont été attaquées cette nuit-là.
Connaissez-vous l’identité des assaillants et leurs motivations ?
Les survivants et les témoins oculaires ont été catégoriques en affirmant qu’il s’agissait clairement de miliciens peuls ou de mercenaires, comme certains rapports l’ont également prétendu. Dans les communautés où les chrétiens vivent côte à côte avec les Peuls, pas un seul peul n’a été touché et aucune maison peule n’a été brûlée, il ne fait donc aucun doute que les attaquants étaient des Peuls.
Quant au motif, je n’en suis pas sûr, mais il pourrait être lié aux attaques qui ont eu lieu dans le gouvernement local voisin, appelé Mangu. Les Peuls ont attaqué les communautés de cette région et ils s’attendaient à ce que les chrétiens de la région de Bokkos, en particulier les communautés limitrophes de Mangu, leur permettent d’accéder à la région, mais ils ont refusé. Je pense donc qu’ils sont revenus attaquer les communautés à cause de cela.
Ces attaques ont une longue histoire. Les éleveurs peuls sont originaires de la région du Sahel, le corridor nord de l’Afrique, qui était autrefois habitable et offrait des pâturages aux éleveurs, mais qui est aujourd’hui déserté. Les Peuls et leur bétail se sont donc déplacés vers le sud, vers des pâturages plus verts dans la région de la ceinture du milieu (Middle Belt), où ces attaques ont lieu en permanence, car pour pouvoir accéder librement à ces pâturages, ils doivent déposséder les autochtones, qui sont chrétiens.
Il s’agit affrontement pour les terres. Les autochtones empêchent parfois les Peuls, s’ils voient clairement qu’ils vont attaquer les communautés, et ils leur rendent la pareille en les attaquant, et je pense que c’est ce qui s’est passé dans le cas présent.
Le fait que ce soit la période de Noël y a-t-il également contribué, ou s’agit-il d’une coïncidence ?
Pour ceux qui pensent que ce conflit n’est pas religieux, ce dernier attentat prouve qu’il s’agit clairement d’un conflit religieux. Le fait qu’il ait eu lieu à Noël et que des chrétiens aient été délibérément pris pour cible dans une communauté mixte, où les musulmans ne sont pas attaqués, porte clairement toutes les marques d’un conflit religieux. Je sais que tout le monde n’aimerait pas l’admettre, mais pour moi, qui suis allé sur le terrain, qui a observé et écrit à ce sujet, cela porte les marques d’un conflit religieux.
C’est donc délibéré, et c’est également symbolique du point de vue du calendrier des attaques (période de Noël). Auparavant, des rumeurs circulaient dans les médias grand public et sociaux selon lesquelles les Peuls allaient attaquer et que l’objectif était d’infliger des souffrances et une destruction maximale aux chrétiens. Beaucoup d’entre nous l’avaient rejeté, mais l’attention des forces de sécurité a été attirée, bien que, comme toujours, rien n’ait été fait jusqu’à ce que cette tragédie se produise.
Les victimes de ces situations au Nigeria se plaignent souvent de l’absence de réaction des forces de sécurité. Êtes-vous d’accord avec elles ?
Oui, c’est le cas. J’ai lu des rapports qui suggèrent que l’armée et les forces de sécurité sont complices, car si elles étaient vraiment à la hauteur, elles auraient dû recueillir des renseignements. Comme je l’ai dit, il y a eu des rumeurs, y compris sur les heures auxquelles ils allaient attaquer. Cela aurait dû mettre les services de sécurité en état d’alerte, mais comme souvent, ils ont été pris au dépourvu.
Qu’ont fait les dirigeants politiques ?
Nous avons affaire à des dirigeants absents. Nos dirigeants ne vivent pas dans la communauté, ils ne comprennent donc pas les problèmes qui dérangent les gens, et nous en arrivons à un point où si rien n’est fait de manière radicale pour faire face à cette tempête qui s’accumule, la tendance des gens à se faire justice eux-mêmes est assez élevée.
De nombreuses personnes doivent se tourner vers vous pour trouver du réconfort et un soutien spirituel. Quelle est l’importance de votre rôle pour la communauté aujourd’hui ?
C’est un véritable défi en ce moment, car nous sommes confrontés à un énorme déluge de personnes déplacées à l’intérieur du pays. Les chrétiens des villages affluent dans les centres-villes pour y trouver un abri, de la nourriture et des vêtements, alors qu’il fait très froid, comme en Europe à cette époque. En raison de l’absence de réponse officielle, les églises sont souvent laissées à elles-mêmes pour répondre à de telles situations d’urgence. Des centaines de personnes déplacées se retrouvent dans les enceintes des églises, qui doivent trouver de la nourriture, des vêtements et des ressources financières pour intervenir dans ces situations d’urgence. La situation actuelle est en effet désastreuse. Bien que quelques chrétiens désabusés par ces attaques non provoquées soient tentés de revenir aux méthodes traditionnelles africaines (syncrétisme) pour répondre à ces situations d’urgence, la grande majorité d’entre eux s’inspirent des Écritures, de la vie de l’Église primitive et des saints dans des moments comme celui-ci.